LE 3 JUILLET 2013

Chers membres du PEN, chères amies, chers amis,

Cette lettre vous parvient quelques jours après que le gouvernement turc ait expulsé les manifestants pacifiques de la Place Taksim, à Istanbul. Je parle souvent avec le président du PEN turc, Tarik Gürnsel, qui dit que des personnes – dont des écrivains – ont été blessées par la police. Il a aussi le sentiment qu’il y a une grandes désinformation qui vient du gouvernement, ainsi que des provocations de la part de ses supporters. Les écrivains sont particulièrement troublés et inquiets de ce qui ressemble à un nouveau niveau et un nouvel objectif de l’action policière, tout autant que l’attitude du gouvernement face au débat public. Nous tous, au PEN International, sommes également préoccupés et sommes prêts à accorder tout l’appui possible. Nous avons mis en place un petit comité de travail international qui étudie la situation afin de s’assurer que nous puissions intervenir de la manière la plus précise possible.

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De ce temps-ci, dans les pays occidentaux, nous découvrons jusqu’où des gouvernements élus démocratiquement sont allés pour réduire le droit à la vie privée de nombreux citoyens dans leur propre pays. On ne peut pas supposer que ce problème existe uniquement dans une ou deux démocraties ou, bien évidemment, dans des pays non-démocratiques. Il ne s’agit pas là d’une nouvelle menace contre la liberté de parole, mais plutôt d’une expansion radicale d’une menace de longue date, acquise grâce à la technologie. La vie privée est un élément essentiel de la liberté de parole. Les citoyens n’ont pas seulement droit de s’exprimer en public. Ils ont aussi le besoin et le droit de parler en privé. Ces conversations et ces discussions privées doivent demeurer exactement cela, privées. Elles se trouvent aussi au cœur même du développement des idées publiques.

Cette progressive réduction des droits privés doit être liée à la diminution de la transparence des gouvernements, diminution qui est elle même tributaire de l’obsession de plus en plus grande des gouvernements pour le secret. Chaque année, des millions de secrets sont créés, et le chiffre en augmente sans cesse. Il est difficile d’imaginer ce que tous ces secrets peuvent bien être, sauf une information qui devrait être accessible au public.

Tout cela prend la forme de limitations légales à la liberté d’expression. En d’autres mots, quand il s’agit pour les citoyens d’élever la voix, nos gouvernements élus appliquent la lettre de la loi plutôt que son esprit ou son intention.

Une controverse fait rage sur l’un des aspects de ce panorama de droits qui est en train de s’écrouler: à savoir si les personnes qui ont rendu publique une partie de cette information ont enfreint la loi. On discute beaucoup moins à savoir si les violations de plus en plus grandes par l’État des droits des citoyens est légale selon les règles d’une saine démocratie.

Le point central est de savoir si les autorités portent atteinte aux droits fondamentaux. Les justifications continuelles qu’elles donnent est qu’elles agissent dans l’intérêt de tous. Pourquoi? Parce que selon elles la sécurité publique est en danger. Mais la sécurité publique est toujours en danger, que ce danger vienne d’une source ou d’une autre. Et les droits des citoyens, comme la liberté d’expression, ont été mis en place au cours de plus d’un siècle et demi, avec grand soin et panache politique. De plus, tout cela s’est passé dans un contexte de grand risque pour la sécurité publique. Ces risques de violence, de meurtres, de crime organisé, de corruption etc, continuent de causer des milliers de morts et d’incidents violents.

Ce que nous avons appris depuis les cent cinquante dernières années, c’est que la liberté d’expression, la transparence gouvernementale, la réduction au minimum des secrets, des lois claires et justes qui exigent la justice et non la punition, des agences d’exécution de la loi bien contrôlées, un système juridique bien équilibré, tout cela forme notre meilleure protection contre tous les risques, toutes les menaces. Et les ennemis les plus dangereux de tous, quand on parle de la sécurité publique, ce sont les fonctionnaires qui cherchent à gouverner en nous apeurant et en nous faisant craindre de défendre nos droits.

C’est là le contexte dans lequel la Déclaration du PEN sur le numérique commence à jouer son rôle. Oui, nous sommes bien au milieu d’une révolution technologique. Mais les citoyens n’ont jamais donné leur accord pour que cette nouvelle technologie justifie le retrait de certains droits. Le sujet n’a même pas fait l’objet d’un débat public élargi.

Avec notre déclaration sur le numérique à la main, PEN commence à jouer un rôle important en faveur de ce débat. Ce sujet de la question du digital a fait l’objet de discussions à la fois à la Conférence des écrivains pour la paix à Bled et à la réunion du Comité de défense des écrivains persécutés à Cracovie en mai.

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Pour la première fois également, le Comité pour la paix a réuni les présidents des quatre comités permanents pour discuter de la coopération entre eux. Hori Takeaki, Eric Lax et moi-même avons participé à ces discussions, ainsi que les membres du Board. Pour Edvard Kovac, il s’agissait de la dernière réunion en tant que président, du Comité de la paix et nous devons tous lui être reconnaissants.

Comme vous le savez, nous avons aussi tenu à Bled, juste avant la réunion du Comité pour la paix, la réunion bi-annuelle à laquelle assistent le Bureau et le Board.

Puis je suis passé brièvement par Zagreb pour rencontrer les membres du PEN croate – dirigé par Nadežda Čačinović – et j’ai participé à un débat du PEN dans le cadre du nouveau Festival de la littérature subversive qui accueillait entre autres David Van Reybrouck, le président du PEN des Flandres. On était un peu en retard, mais nous avons aussi célébré le 80e anniversaire de notre vice-président international Predrag Matvejević, qui est toujours aussi ferme dans ses opinions sur le bien commun. Je l’ai toujours tenu pour un grand modèle d’indépendance morale.

Il y a eu deux rencontres officielles – l’une avec le Président de la République, Ivo Josipović et l’autre avec Andrea Zlatar Violić, Ministre de la culture.

De là je me suis rendu à Vienne, en route vers la Pologne, et j’ai eu deux bonnes réunions, l’une avec le Secrétaire d’État de l’Autriche, Reinhold Lopatka, et l’autre avec des membres de l’Institut international de la presse.

Puis à la réunion du WIPC/CODEP à Cracovie, lié au Festival littéraire Milosz, et une fois de plus avec nos amis d’ICORN. Ce fut une très bonne réunion et Marian Botsford Fraser. la présidente du WIPC/CODEP vous en parlera bientôt.

Ensuite, je me suis rendu à Londres où Hori Takeaki, Eric Lax et moi nous sommes réunis avec Laura McVeigh et le personnel pour parler de sujets comme le développement des centres et les levées de fonds.

Finalement, au Festival Hay on Wye, j’ai présidé un événement avec le splendide romancier turc Elif Shafak; nous avons beaucoup traité des droits linguistiques et des droits linguistiques kurdes en particulier.

Ce fut une longue période de voyage. Mais chacun de ces événements, chacune de ces rencontres ou réunions permettait de discuter, pour qu’on les appuie, des thèmes soulevés dans notre récent rapport sur la Chine, sur la liberté d’expression en Turquie, et la crise au sujet de l’impunité en Amérique. L’un des sujets de préoccupation qui ont fait surface pendant cette période est le sentiment que dans bien des endroits le populisme, sous sa forme négative, progresse.

Et pour conclure, de retour à Toronto, j’ai pu avec Haroon Siddiqui, membre du Board, et Charlie Foran, le président de PEN Canada, passer un moment avec le poète palestinien Ghassan Zaqtan et son traducteur, le poète palestino-américain Fady Joudah, pour discuter de la situation des poètes et du livre en Palestine. Ghassan, et Fady en tant que traducteur, ont été sélectionnés comme finalistes au prix de poésie Griffin, qu’ils ont plus tard gagné. Ce fut un grand plaisir de les rencontrer.

Avec mes salutations les plus amicales.

John Ralston Saul

Président international

Mai et Juin Lettre Mensuelle De John Ralston Saul aux membres de PEN