Lettre de août 2015
de John Ralston Saul

Président international
aux membres du PEN
Le 15 septembre, 2015
Chers membres du PEN, chères amies, chers amis,
Il y a des moments où des civilisations rejettent les valeurs morales du mot civilisation. Elles en perdent la crédibilité nécessaire pour qu’on les prenne au sérieux ; puis la question se pose à savoir si elles peuvent la récupérer, cette crédibilité ? L’histoire est particulièrement indulgente. Mais le tort causé – les dommages dans tous les sens du mot – est profond.
La question n’est pas simplement que l’Europe accepte ou pas un certain nombre de réfugiés, quoique ce soit cette tragédie dont on est témoin présentement et c’est le défi de chaque jour. La question qui se pose est toute l’attitude qui entoure cette tragédie. Et cela va bien au-delà de l’Europe. C’est qu’on revient au déni de la culture méditerranéenne. C’est à savoir pourquoi le Canada, les États-Unis, l’Australie et tellement d’autres pays qui sont capables de jouer un rôle humanitaire ne font pas leur part. Des pays qui semblent avoir oublié leurs traditions en répondant à une crise grâce à l’accueil de ceux qui sont désespérés. On croirait voir revenir le nationalisme négatif du XIXe siècle et des comportements racistes à peine voilés. Il y a un refus entêté de tenter même d’attaquer les causes de cette crise car cela pourrait nuire à de vagues stratégies géo-politiques. L’ambiance tout autour de nous est défensive, étroite, égoïste au niveau gouvernemental. On note une insistance cynique sur des stratégies militaires étroites qui prétendent nous protéger du terrorisme et de la barbarie. Prenons un seul exemple : l’Arabie Saoudite, une dictature familiale, une puissance qui lutte contre la liberté d’expression, qui répand activement des idées religieuses extrêmes, et qui est pourtant un des membres importants de la coalition anti État Islamique. Pourquoi ? S’agit-il d’une vision extrémiste autoritaire contre une autre ? Et c’est bien l’Arabie Saoudite qui, dans les faits, a condamné Raif Badawi à la flagellation. Son crime ? L’usage qu’il a fait de la liberté d’expression.
En avril, j’ai dirigé une mission auprès de l’Union Européenne en compagnie de Jarkko Tontti, de Josef Haslinger, le président du PEN allemand et de Jo Glanville, le directeur exécutif du PEN anglais. Nous avons présenté des demandes précises et des recommandations à Martin Schulz, le président du Parlement européen. Il y a en effet de nombreuses demandes de la part des Membres pour une action unifiée.
Les mois ont cependant passé. La Commission européenne et la plupart des dirigeants nationaux — à qui revient la responsabilité ultime – ont trébuché, ils ont blâmé, ils ont retardé, avancé un peu ici, un peu là, et refusé de créer une politique cohérente, inclusive. Il semble maintenant y avoir un mouvement sérieux, derrière le leadership de l’Allemagne et de l’Autriche. La Suède, la Norvège, la Finlande et l’Islande sont allés de l’avant. Mais cela arrive si tard. Quelques heures à peine après l’initiative allemande et autrichienne, les frontières ont commencé à se fermer à travers l’Europe, contrairement à l’une des réformes fondamentales amenées par l’Union européenne. Et une réunion d’urgence de l’ensemble des leaders du continent à eu lieu à Bruxelles, se terminant en un échec total.
Pourquoi est-ce que PEN s’est engagé dans cette crise – PEN, la seule organisation internationale littéraire et de liberté d’expression ? Parce que nous ne sommes que secondairement une organisation. Nous sommes avant tout une nation virtuelle du mot, rassemblant les écrivains et les lecteurs du monde. Notre Charte, née des mains de John Galsworthy, le dit clairement :
La littérature ne connaît pas de frontières. (Les membres) s’engagent à faire tout leur possible pour écarter les haines de races, de classes et de nations, (ce qui) rend indispensable une libre critique des gouvernements et des institutions

Cela me rappelle le Congrès PEN de 1933 à Dubrovnik, quand la question s’est posée de savoir que faire du PEN allemand qui avait été discrètement infiltré par des sympathisants nazi. Les gouvernements et les organismes multilatéraux tentaient toujours alors de vivre et de négocier avec les nazis et les fascistes.

H.G. Wells, alors président international, a dit depuis la présidence : il faut déclarer clairement quelle est notre position et ce que nous souhaitons – ou progresser ou retourner au Moyen-Âge.

Après un tumultueux débat, le Centre allemand a été expulsé. Ce débat et cette décision représentent l’un des premiers piliers d’une politique internationale anti-nazi. On a décidé qu’on ne pouvait pas, qu’on ne devait pas négocier avec ces gens-là.

Cette crise des réfugiés, elle correspond à un moment comparable. Il faut être clairs et fermes : des milliers de gens meurent pendant que nos dirigeants se plaignent de questions de gros sous, de main d’œuvre et de programmes. C’est une question de volonté politique, autant le traitement digne des réfugiés que la création immédiate de programmes d’adoption. Mais c’est l’absence d’appuis et de services à l’intérieur des pays en crise, ou le plus près possible de ces pays, qui explique les souffrances, les traumas, la panique et les vagues de réfugiés ; cela et l’absence d’une structure intégrée et respectueuse d’accueil de ceux qui fuient. Nous sommes intervenus dès avril dernier dans ce dossier. Et nous venons d’élever la voix une fois de plus, et nous allons continuer à le faire.

Et quand nous nous reverrons au Congrès de Québec en octobre, nous verrons où en sont les choses et nous interviendrons encore.

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Quelques mots sur les dernières initiatives de nos Centres.

Au Honduras, notre Centre est engagé dans de complexes débats à la défense de la liberté d’expression. L’un de ces débats touche ce qui se passe dans la plus grande université du pays, la Universidad autónoma de Honduras (UNAH). Il y a quelques semaines, la situation a dégénéré de telle façon que des hommes armés rôdaient dans le voisinage de la maison de Cesario Padilla, un leader étudiant et l’un des membres du conseil d’administration de notre Centre, menaçant de lui causer du tort. La solution était – la plus rapidement possible – d’attirer l’attention publique sur cette menace pour forcer les hommes à se retirer, ce que nous avons réussi à faire de plusieurs façons. Mais aucune n’a résolu le problème principal.

Et deuxièmement, la Cour suprême du Honduras a suspendu de ses fonctions le journaliste Julio Ernesto Alvarado, même si un pouvoir judiciaire supérieur, la Commission interaméricaine des droits de la personne, avait déjà jugé qu’il ne pouvait être suspendu. Le problème est d’assurer l’application de la loi dans un endroit pareil. PEN Honduras est au cœur de cette campagne ; et nous sommes à ses côtés.

Lors de notre récente délégation au Honduras, j’ai rencontré Julio Ernesto et lui et d’autres personnes m’ont plusieurs fois expliqué le cas. Il n’y a qu’une explication : c’est une forme de vengeance.

PEN Mexico a lancé un très bon blog pour commenter la situation qui prévaut au Mexique. La dernière version est consacrée aux femmes et la liberté d’expression. On peut y contribuer de diverses façons.

Après le meurtre du photo-journaliste de Veracruz Rubén Espinosa, les dirigeants de PEN Mexico a participé à des négociations avec le procureur général de la ville de Mexico au sujet de la façon de traiter cet apparent retour à la violence politique dans la ville. On trouvera ici une entrevue partagée de PEN Mexico et de PEN international. American PEN a aussi lancé une campagne de lettres pour augmenter la pression dans ce dossier.

Le meurtre de blogueurs au Bengladesh et les menaces qui continuent d’y prévaloir sont encore les signes d’une situation dangereuse. PEN Bengladesh fait partie de ceux qui ont tenté d’amener le gouvernement et la police du pays à faire leur travail. Le PEN Suède a accompli une tâche formidable en aidant quelques blogueurs à s’exiler en Suède.

Voici quelques autres programmes très positifs :

Le programme du PEN écossais dans les écoles – PEN Power semble formidable. Tout comme l’effort pour rejoindre les écrivains marginalisés intitulé Scottish PEN Presents.

J’aime bien le Free Expression Daily Digest de l’American PEN. Il est en place depuis juin et recueille de l’information venue du Web. Vous pouvez vous inscrire ici.

PEN Chili et sa présidente, Blanca del Río s’engagent dans les débats publics. Ils ont rassemblé récemment Antonio Skármeta, Carlo Franz et Pablo Simonetti sur la même plateforme. C’est un impressionnant départ.

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Le Congrès de Québec aura lieu dans cinq semaines. Je suis heureux de l’attention qui sera portée aux questions et à l’écriture indigènes lors du Congrès de Québec. Tout autant qu’à la Déclaration de Québec sur la traduction littéraire. Et nous allons mener à conclusion notre stratégie des Amériques. Et il y aura une élection à la présidence !

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Pour conclure, vous avez sans doute appris la bonne nouvelle au sujet de notre partenariat avec SIDA. Carles Torner va vous en parler. Cette nouvelle entente avec la Swedish International Development Agency prolongera notre coopération déjà bien établie et notre travail auprès de la société civile en faveur de la liberté d’expression. Il s’agit d’une subvention de 31 millions de Couronnes suédoises (3,540,000 $US) sur quatre ans.

Avec mes salutations les plus amicales.
John Ralston Saul
Président international

16 septembre, 2015 – Lettre d’octobre de John Ralston Saul Président International aux membres de PEN