LE 22 NOVEMBRE 2011

President Wade

Monsieur le President de la République
Ambassadeurs
Ministres
Monsieur Kebé, President du PEN Sénégal
Monsieur Beye, Secrétaire Général du PEN Sénégal
Monsieur Harruna Attah, Secrétaire Général du PAN
Prof. Okai, Secrétaire Général du Pan African Writers Association
Membres de PEN de partout en Afrique
Mesdames
Messieurs

Monsieur le Président, votre présence ici nous fait grand honneur.

Comme vous le savez, PEN a toujours été apolitique. Indépendant. Irascible. Comme il se doit. C’est le rôle essentiel de l’écrivain. C’est bien pour cela qu’aujourd’hui, dans notre 90e année, nous sommes toujours, partout dans le monde, et de plus en plus, l’organisation prééminente qui se consacre à la défense de la liberté d’expression.

Je dois vous dire, Monsieur le Président, que, malgré cette indépendance, il nous fait toujours plaisir de nous retrouver avec un chef d’état écrivain. Et dans un pays comme le Sénégal, où les Présidents, les uns après les autres, ont soutenu les causes de PEN.

Je vous remercie de votre accueil. Et je me dois aussi de remercier le PEN Sénégal au nom de tous ceux qui sont venus d’ailleurs. Ses membres ont travaillé dur pour que cette réunion essentielle ait lieu.

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C’était il y a 16 ans, le 10 novembre, qu’on pendait notre ami Ken Saro-Wiwa. Léopold Senghor a écrit de la mort de Martin Luther King : « Parce que nous ne l’avons pas aidé, nous ne l’avons pas pleuré. »

Et bien, nous avons tout fait pour aider Ken Saro-Wiwa – nous les écrivains de PEN International partout dans le monde – et nous l’avons perdu, et nous le pleurons encore. Cette grande défaite est un rappel constant de la lutte pour la liberté d’expression sous toutes ses formes, dans toute sa grandeur et dans ses détails.

Aujourd’hui nous avons quelques huit cents êtres humains inscrits sur notre liste d’écrivains persécutés ou en prison. Et il y en a d’autres qui sont battus autour du monde chaque jour. Ou menacés. Ou brisés dans des procès fallacieux. La réalité de la fragilité de la liberté d’expression fait qu’on doit se lever chaque matin et consciemment rétablir ce principe dans nos vies si tranquilles et rassurantes. Je pense tout particulièrement aux lois qui criminalisent ce qu’on appelle l’insulte et la diffamation.

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Mais PEN, est-ce que c’est surtout un mouvement littéraire, ou un mouvement en faveur de la liberté d’expression? Voilà un débat vieux de 90 ans. En fait, littérature et liberté d’expression sont la même chose. La littérature sans la confiance en soi – en son imagination – attachée à la liberté d’expression, ce n’est que du style.

Et la liberté d’expression sans la littérature – sans l’imagination – et bien, pour parler d’aujourd’hui, c’est un monde réduit à des formules technocratiques, du jargon de consultants et au dialecte d’économistes. On n’a qu’observé les catastrophes de la dette et de la pauvreté que cette approche sans imagination a produites.

PEN croit dans une liberté d’expression sans borne, et sans frontière. Nous croyons à la critique musclée, au débat agressif, aux romans, aux poèmes, aux pièces qui amusent, dérangent, contrarient. Nous croyons à une vie – disons – inconfortable pour ceux qui détiennent les pouvoirs publics et privés. Tout cela est la meilleure protection que nous ayons – nous, les citoyens de partout au monde – contre la violence et la dictature.

Que cela soit dans les romans ou dans des discours, dans des journaux ou dans des lettres, des conversations ou sur scène, la liberté d’expression musclée nous sert a nous tous.

C’est la raison pour laquelle George Konrád, l’un de mes prédécesseurs en tant que Président international du PEN, a dit: ‘Ce n’est pas vrai qu’on puisse établir une paix distincte avec les créateurs. ‘ On ne peut faire une paix distincte avec la communauté des écrivains

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Nous sommes à Dakar pour parler du PAN – le Réseau africain du PEN. Le PAN porte le ravbail du PEN dans de nouvelles directions. Le réseau a débuté en 2003, lors du Congrès international de Mexico. Mohamed Magani, l’un des premiers secrétaires généraux du PAN, est ici avec nous et se rappelle du travail accompli pendant huit ans pour mettre en place le réseau et lui donner son orientation. Grâce à ce travail, PAN a commencé à transformer PEN.

Dans certains pays, par exemple – je pense à la Sierra Leone et à la Guinée Conakry – PEN International avec PAN comme parti intégral – livrent notre message à des adolescents grâce à de grands clubs de lecture dans les écoles.

Je viens d’être témoin de plusieurs exemples de ces programmes en Sierra Leone – des exemples très touchants impliquant des jeunes qui n’auraient probablement pas eu accès à l’éducation au-delà de l’école à cause de la situation sociale et politique. Nos clubs scolaires les ont amenés à lire et à écrire d’une manière énergique, dynamique et publique.

J’ai entendu un étudiant – Mohamed Kanneh – réciter devant ses amis et des membres du PEN un poème qui commençait par: ‘Mon agonie est ma vie’. Et un autre: ‘Parfois, dans le pays, l’anarchie était ce que portait le vent. ‘

Un autre étudiant – Baba Tejan Kabba – a lu un remarquable poème contre la violence.

Je prononce leurs noms parce qu’ils méritent qu’on les entende. Ils ont 15 ans dans un monde difficile et, eux, ils ont le courage et la volonté d’élever la voix. Et dans le monde difficile des écrivains, peut-être les entendra-t-on.

Dans un village du nom de Lunsar, à l’école Notre-Dame-de-la-Guadeloupe, des centaines de jeunes filles se bousculaient dans l’allégresse et une ambiance créatrice pour jouer les pièces qu’elles avaient écrites.

Et tout cela dans un pays qui vient d’échapper au désastre. Voilà bien le rôle que la littérature et la liberté d’expression peuvent jouer. C’est PEN en Afrique – PEN africain – en action dans le vrai monde. Au cours des prochains jours, nous allons entendre parler de programmes partout à travers le continent qui cherchent à développer des stratégies généreuses et à long terme.

Et tous cela n’est qu’un petit parti du travaille de PEN.

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Un exemple de plus. Perdre sa langue – c’est quand-même perdre sa liberté d’expression. Depuis 20 ans PEN travaille à définir et à défendre les droits linguistiques.

Il y a des centaines de langues en voie de disparition. Les langues de pouvoir n’y voient que la fatalité. Nous y voyons une affaire politique. Défendre ces langues, ce n’est pas une question de charité – ou de les conserver qu’elles deviennent des sujets d’études historiques à l’université.

Chaque fois qu’on perd une langue, un porte se ferme pour toujours sur une partie de notre imagination; et de notre compréhension de cette planète.

Au cours de notre dernier congrès à Belgrade, nous avons adopté une charte des droits linguistiques.

C’est un document court – une page. C’est un beau texte, déjà traduit dans une dizaine de langues, et les traductions continuent d’arriver, les unes après les autres. Cette déclaration s’appelle le Manifeste de Gérone. C’est la ville de Catalogne où nous en avons complété la rédaction. C’est un outil utile et important dans le combat public pour contrer l’extinction des langues.

Ici encore – sur cette question des langues minoritaires ou en danger de disparition – le réseau africain de PEN International peut jouer un rôle très important.

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Une dernière précision. Oui, les quelques 17 centres de PEN en Afrique – et il y en a d’autres à venir – ont leur rôle à jouer dans ces questions sur ce continent. Un rôle essentiel.

Mais, il faut insister sur le faite que nous avons également besoin de leur influence partout dans le monde dans cette grande coalition d’esprit qu’est le PEN International.

Je vous remercie.

Allocution d’ouverture par John Ralston Saul à La Réunion PAN A Dakar, Sénégal