LE 21 MARS 2012

Chers et chères amis et membres de PEN,

Cette lettre arrive un peu tard parce que je viens juste rentrer d’un séjour en Éthiopie et à Djibouti pour rencontrer nos Centres PEN.

Avant de vous en dire plus à ce sujet, je voudrai dire quelques mots sur les développements qui se sont produits au Mexique. Vous savez peut-être si vous avez lu une récente déclaration de PEN qu’il s’est produit un progrès intéressant. Le sénat mexicain a enfin adopté, après avoir longtemps tergiversé, la loi sur la fédéralisation des crimes commis contre des journalistes. Nombreux sont ceux qui se sont exprimés en sa faveur. Mais la stratégie de PEN comportait plusieurs volets, en particulier la discussion en profondeur qui a eu lieu entre notre Délégation et le Président du sénat mexicain ainsi que d’autres sénateurs. Mais elle était étayé par une étude de l’Université de Toronto/du PEN Canada, par la lettre que nous avons adressée aux écrivains mexicains qui a été publiée dans la presse nationale, par un événement public majeur organisé à Mexico, PEN Protesta ! et par toutes les autres activités que notre Délégation est parvenue à réaliser. En d’autres termes, ce qui nous avons apporté dans ces négociations est notre réelle force – celle de la parole publique, que ce soit avec le PEN Mexicain au Mexique ou dans le monde entier avec nous tous. Notre force est que n’avons pas à laisser aux experts ou aux politiciens la prérogative de ces questions, mais que nous pouvons les faire entrer dans l’arène publique.

L’autre jour, quelqu’un m’a dit que nous ne devrions pas nous borner à faire un travail de relations publiques. Mais nous abattons une somme de travail très spécialisé. Nous sommes un Centre de recherches et d’analyses important. Et si besoin est, nous engageons de manière très experte des négociations prudentes et complexes dans les coulisses.

Mais ce que nous faisons publiquement n’est pas un travail de relations publiques. Il s’agit de l’expression de notre vraie identité en tant qu’écrivain et éditeurs. C’est pour cela que lorsque je parle de nous, je nous décris constamment comme des gens de la parole. C’est ce que nous sommes, avec les lecteurs.

Et nous avons donc eu une percée au Mexique. Il s’agit d’un progrès modeste, mais tout de même important. Nous remplissons donc notre mandat.

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Avec le PEN Éthiopien, le PEN de langue somali et le PEN de langue afar, nous avons trois Centres robustes. J’avais été convié à Addis-Abeba pour la première rencontre annuelle du PEN Éthiopien. Il leur a fallu quatre années d’efforts acharnés pour obtenir le statut officiel d’une ONG éthiopienne. Ils ont célébré cet événement avec une centaine d’écrivains originaires des quatre coins de ce très large pays. Ce qui est impressionnant est l’effort qu’ils déploient pour inclure les différentes cultures et langues nationales. Il y a eu au cours de cette rencontre annuelle un débat public sur les rôles des langues amhariques et oromo.

Solomon Hailemariam, leur Président, est secondé par Dejene Tesemma, un secrétaire général plein d’enthousiasme ainsi que par Gezahegn Mekonnen, le trésorier, Getnet Gessese le Vice-président et Aschalew Kebede. Et d’autres personnes se joignent à Solomon. Ce sont des romanciers, des poètes, des essayistes et des journalistes. Je devrai ajouter qu’Elisabeth Eide et Ann-Magrit Austena du PEN Norvégien se trouvaient également à Addis-Abeba pour célébrer la première rencontre annuelle du PEN Éthiopien.

La situation dans le pays est très complexe. Le PEN Éthiopien a décidé de faire porter son travail sur les rapports entre la littérature et l’éducation, ce qui rejoint très bien nos programmes d’éducation, très appréciés, dans les autres Centres africains.

Nous avons eu de nombreuses réunions très intéressantes, en particulier avec le Président de la République. Nous avons pu organiser une réunion avec Jean Ping, le Président de l’Union Africaine. Il s’agissait d’une première pour PEN International et d’une importante initiative.

J’ai longuement parlé avec lui de littérature et d’éducation et des programmes scolaires de PEN en Afrique. Il nous a immédiatement conviés à rencontrer le Commissaire aux Ressources Humaines, aux Sciences et à la Technologie qui est chargé de l’éducation. Son nom est Professeur Jean-Pierre O. Ezin. Il a à son tour convié PEN à la rencontre annuelle des Ministres africains de l’Éducation. Nous travaillons maintenant sur ce projet.

Sur un sujet distinct mais apparenté, un des plus grands enjeux pour les écrivains en Éthiopie est la faiblesse du système d’édition ainsi que le prix des livres qui est très élevé. Nous devons constamment nous rappeler à PEN que sans un système robuste d’édition, sans livres à un prix raisonnable et sans un quota appréciable de traductions, la liberté d’expression serait plus théorique que réelle.

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Djibouti était une expérience d’une grande richesse et passionnante. La situation est complexe et nos deux Centres appartiennent tout à fait à ce qu’il conviendrait d’appeler l’école du Manifeste de Gérone.

Les centres d’expression somali et afar représentent des langues qui étaient exclusivement orales jusqu’au début des années 60 (Somali) et des années 70 (Afar). La vaste majorité des gens qui ont comme langue maternelle le somali ou l’afar résident dans les pays voisins – en Somalie, au Somaliland, en Éthiopie, en Erythrée, et au Kenya. Le désastre politique en Somalie et en Erythrée a conduit de nombreux de leurs ressortissants et en particulier de nombreux écrivains à s’exiler dans le monde entier. Ce qui fait que nos deux Centres PEN à Djibouti en sont réduits à essayer de représenter toute la région, avec nos Centres au Kenya et en Éthiopie.

Le Centre d’expression somali est établi depuis déjà quelque temps dans les bureaux qui fonctionnent très bien. Il semblerait que ma venue à Djibouti puisse aboutir au même résultat pour le Centre d’expression afar. Leurs locaux sont situés l’un à côté de l’autre, au même étage d’un bâtiment au centre de Djibouti.

Après m’avoir invité, ils ont organisé une réunion conjointe publique, à laquelle une centaine d’intellectuels avaient été conviés. Les médias en ont beaucoup parlé dans le pays. J’ai également eu des réunions de travail avec chacun des directeurs de Centres. Dans chaque cas, environ une vingtaine d’écrivains étaient présents, des anciens comme des jeunes. Ces Centres ont des branches dans les écoles et les collèges et dans les pays avoisinants. Le fondateur du PEN Somali, Mohamed Dahir Afrah était présent ainsi que le Président actuel Adden Hassan Aden. La présidente du Centre Afar est Aicha Robleh, une dramaturge très connue. Elle était accompagnée de l’ancien Président, Chehem Watta et du secrétaire général, Mohamed Houmed Hassan, que tout le monde appelle Charlie.

Comme en Éthiopie, les deux Centres de Djibouti sont très intéressés par la littérature et l’éducation. La plupart de nos Centres en Afrique sont fermement convaincus que c’est la voie à suivre pour donner à la créativité et à la libre parole une base plus large et solide. À Djibouti, leur intérêt porte sur le trio linguistique compliqué mais heureux de la langue française (la langue officielle dans les écoles et au gouvernement), somali et afar (les deux langues maternelles récemment introduites dans le système d’éducation). Nos deux Centres veulent renforcer les langues maternelles sans affaiblir le français.

Ils souffrent également énormément de l’absence d’un système d’édition pour les créations littéraires. Nous avons rencontré le Président de la République et on a parlé de l’idée de créer une coopérative d’édition sous l’égide des deux Centres PEN.

Ces trois semaines ont été passionnantes et je suis reconnaissant à tous les membres des Centres Éthiopien, d’expression somali et afar qui m’ont réservés un accueil aussi chaleureux.

Comme je l’avais constaté en Sierra Leone et à la réunion PAN à Dakar en décembre dernier, nous avons des Centres absolument remarquables en Afrique.

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Pour finir, ce voyage avait commencé par un séjour d’une semaine en Corée du Sud. Je m’y suis rendu au départ pour assister à une grande réunion publique sur la situation économique dans le monde, une réunion qui n’avait aucun rapport avec PEN. Mais en définitive, beaucoup de discussions ont tourné autour du travail de PEN et de son prochain Congrès.

Pour la deuxième moitié de mon séjour, j’ai rejoins Hori Takeaki, Markéta Hejkalová et Laura McVeigh pour travailler avec Gil-Won Lee et le Centre PEN Coréen sur le prochain Congrès qui aura lieu à Gyeongju. Gil-won et ses collègues multiplient les efforts pour pouvoir accueillir le plus grand nombre d’invités possible, et organiser un programme littéraire d’excellente qualité. Je pense qu’avec toutes les innovations, ce congrès sera couronné de succès.

Avec mes sentiments les plus chaleureux

John Ralston Saul

Mars Lettre Mensuelle De John Ralston Saul aux membres de PEN